La bibliothèque de musique Marvin Duchow est propriétaire d’une collection importante de musique en feuilles publiée en France au XIXe siècle. À partir d’éléments de cette collection, l’exposition « Femmes, travail et chanson dans la France du XIXe siècle » explore à la fois le travail des femmes et le regard porté sur elles dans l’industrie de la chanson populaire. Les pièces choisies soulignent la variété et l’évolution des rôles tenus par les femmes en tant que productrices, chanteuses et travailleuses tout au long du XIXe siècle, rôles qui sont indissolublement liés aux changements sociopolitiques, aux révolutions, aux conflits armés, aux effets de la révolution industrielle et à l’essor de la culture de consommation. L’exposition met en lumière les réactions face au changement du statut de la femme dont on peut observer le reflet dans les textes, la musique des chansons et les illustrations qui ornent les couvertures, l’ensemble principalement conçu par des hommes.
En France, au XIXe siècle, l’industrie de la musique en feuilles était florissante. En 1845, Jacques-Auguste Delaire estimait que 250 000 copies de romances étaient imprimées chaque année. Vers 1880, plus de 100 000 exemplaires d’une seule chanson du café-concert pouvaient être imprimées. Avec un marché inondé de millions de chansons dont plusieurs étaient oubliées après seulement quelques mois, il n’est pas étonnant que la plupart des commentateurs aient insisté sur leur caractère éphémère et sur l’incidence de l’industrie de la musique en feuilles sur l’essor de la culture de consommation de masse. Cependant, pour les personnes qui cherchent à savoir de quoi était faite la vie quotidienne à l’époque, l’étude du commerce de la musique en feuilles est extrêmement utile. Si de nombreuses chansons sont, par réaction, le reflet des événements contemporains (conflits politiques, développements sociaux ou préoccupations culturelles), chacune d’elles est aussi une occasion de retracer un vaste réseau complexe d’acteurs qui ont contribué à sa création, son interprétation et sa diffusion.
Or, plusieurs de ces acteurs étaient des femmes. Les études sur les femmes et la musique en feuilles ont eu tendance à se concentrer sur le rôle de la femme en tant que consommatrice de musique et de musicienne jouant chez elle, représentée par l’image de la femme au piano. Ces travaux soulignent avec justesse les aspects souvent ignorés et invisibles des pratiques musicales. Toutefois, ils ne font qu’effleurer l’ampleur de la présence des femmes dans cette industrie, de leur influence et de leur contribution. Elles étaient compositrices et poètes. Elles interprétaient les chansons dans différents contextes : chez elles, dans les salons ou à l’occasion de concerts privés, ainsi que sur la scène publique. Elles étaient les salonnières et exerçaient les métiers d’éditrice, de graveuse et de marchande de musique.
Les femmes inspiraient aussi les auteurs et les éditeurs des chansons, qu’elles soient le sujet du texte ou des illustrations de couvertures de la musique en feuilles. Dans la chanson populaire, les représentations de la femme allaient des clichés les plus éculés de la jeune fille éperdument amoureuse à l’imagerie érotique de la cocotte. Mais de nombreuses chansons traitaient de la place de la femme dans la société au moment où cette question était débattue par des féministes, des écrivains et des politiciens.
Des salons de la monarchie de Juillet aux music-halls et aux cabarets de la Troisième République, en passant par les cafés-concerts du Second Empire, l’exposition relate l’évolution des genres, les changements dans les lieux et les moyens de diffusion de la chanson française au courant du XIXe siècle. Chaque groupe de sélections explore divers aspects des trois thèmes principaux de l’exposition : les femmes, le travail et la chanson. Alors que les thèmes s’entrecroisent de plusieurs façons, ils illustrent les discordances entre la réalité vécue par les femmes à l’époque et les fantasmes masculins. Le premier thème, « Les femmes », explore l’image de la femme et la perception de son rôle dans la société française c’est-à-dire la femme comme idée et comme symbole, et les réactions du monde culturel et musical devant l’évolution de la condition féminine, à la maison comme dans l’ensemble de la société. Ensuite, le thème du « travail » aborde les représentations musicales des femmes au travail en mettant l’accent sur la diversité et la disponibilité grandissante des emplois, résultat de la révolution industrielle et du progrès des technologies de communication. Enfin, sous le thème des « chansons », on s’attardera principalement sur l’apport des femmes à l’industrie de la musique comme compositrices, poètes, chanteuses, salonnières ou éditrices, que leur travail ait été accompli dans l’ombre ou sur le devant de la scène.
Co-curatrices: Kathleen Hulley, Ph.D., et Kimberly White, Ph.D.