Il est impossible de ne pas reconnaître l’influence que le salon de madame la comtesse Merlin a exercée sur la musique sociale à Paris. C’est elle qui, la première, a trouvé qu’on pouvait joindre sans nul inconvénient les avantages d’une femme du monde au talent d’une grande cantatrice, car personne ne niera que si madame Merlin fût née dans la classe des artistes, elle n’eût atteint les plus hauts succès qu’ont illustrés les concerts ou la scène.
– Sophie Gay, Salons célèbres (1864, 160–61).
Le salon de Mademoiselle Contat était un autre exemple des changements sociaux qui étaient en cours. La magnifique actrice attirait le monde dans son salon où s’écoulait un flot de chansons. Outre elle-même, on pouvait y entendre des rossignols comme Malibran et Sontag ainsi que la musique de Rossini et Donizetti qui y était présentée en primeur.
– Kathleen O’Meara, Madame Mohl: Her Salon and her Friends (1886, 15).
Gravure de Mme. LamouretteNouveautés musicales publiées par Mme. CendrierOn considère souvent les XVIIe et XVIIIe siècles comme l’âge d’or des salonnières. Ces influentes hôtesses, de Catherine de Rambouillet (1588–1665) à Suzanne Necker (1737–1794), façonnaient le discours politique de l’époque. Même si en 1804, le Code Napoléon limitait les droits civiques des femmes, elles continuaient, en tenant salon, d’exercer une influence notable sur la vie sociale et politique. Les nouveaux chanteurs faisaient leurs débuts dans les salons et les nouvelles compositions y étaient créées. Les nombreuses chansons qui sont dédiées à des salonnières confirment leur constante influence. Alors qu’il réfléchissait sur le rôle central joué par la musique dans le salon très prisé de Madame Orfila, un critique du Ménestrel écrivait : « [C]hez Mme Orfila la musique est la fleur des quatre saisons. On y chante toujours, été comme hiver » (1859). Les salonnières exhibaient aussi leurs propres talents musicaux, illustrant ce que Mary Ann Smart décrit comme « le mélange de statut social et de talent musical qui caractérisait Paris durant les années 1830 » (2010, 49). La comtesse Merlin (1789–1852) avait naguère été chanteuse professionnelle ; la princesse Cristina Belgiojoso (1808-1871) chantait et jouait du piano ; et Madame Orfila chantait à l’occasion avec son mari, ou était accompagnée par lui.
Les annotations de l'éditrice Céleste CendrierLe monde de la musique était aussi animé par de nombreuses femmes qui, bien qu’agissant dans l’ombre, n’y jouaient pas moins un rôle capital dans la production et la diffusion de la musique, qu’elles fussent éditrices, graveuses ou marchandes de musique. On s’en rendra facilement compte en voyant les noms d’éditrices qui apparaissent dans la présente collection : Mme Espinasse, Mlle Lesourd, Veuve Paté, Veuve Benoit, Veuve Leduc et Veuve Hayard. Les femmes pouvaient hériter des entreprises d’édition de leur mari défunt, mais des documents d’archives laissent entendre que certaines femmes auraient obtenu un brevet pour démarrer leur propre entreprise. Céleste Cendrier (1812–ca.1859) en est sans doute un bon exemple, car en plus de publier une variété d’œuvres pour voix ou pour piano, ainsi qu’en témoigne la publicité pour ses Nouveautés musicales, elle possédait un magasin de musique. Il y avait aussi des graveuses, dont le travail passait souvent inaperçu, leurs noms n’étant pas mentionnés ou relégués au bas de la page. Par exemple, Mme Lamourette grava la musique sur la plaque de métal qui servit à imprimer La sincère de Pauline Duchambge.