L’essor de la mélodie française et de la chanson populaire au cours du XIXe siècle a suivi les progrès de l’imprimerie. Les morceaux les plus anciens de cette collection ont été imprimés à partir de plaques gravées, un procédé élaboré d’abord au cours du XVIe siècle. Les portées, les notes, les marques d’expression et le texte devaient être gravés à l’envers sur une plaque de cuivre par un graveur. La plaque était ensuite encrée et pressée sur un papier, le plus souvent fait de chiffon, avec un timbre fiscal apposé pour indiquer que la taxe sur le papier avait été payée. Une seule plaque, numérotée, servait à l’impression de multiples exemplaires. Étant donné qu’à cette époque, en France, la musique en feuilles n’était généralement pas datée, ce numéro de plaque qui apparaît au bas de la page permet de dater la musique.
Mise au point par Aloys Senefelder dans les années 1790, la lithographie est une technique d’imprimerie qui permettait de reproduire rapidement et en quantité une image sur du papier. À partir des années 1830 et 1840, les éditeurs de musique adoptèrent ce nouveau procédé pour imprimer la musique en feuilles et les illustrations de couverture. La lithographie étant un moyen peu coûteux de publier de la musique, son adoption facilita la diffusion de la chanson et, sans doute aussi, sa démocratisation. Comme l’a démontré Anik Devriès-Lesure (1987), on assista dans les années 1830 à l’émergence de l’industrie de la « musique à bon marché ». La plupart des chansons étaient imprimées en deux formats : le « petit format » (16,5 cm x 26 cm), ne contenant que le texte et la mélodie chantée, coûtait entre 30 centimes et 1 franc ; et le « grand format » (25 cm x 33cm), où était ajouté l’accompagnement de piano et qui coûtait 3 francs. Il existait plusieurs façons de se procurer des feuilles de musique : chez les éditeurs, les marchands de musique ou dans les cafés-concerts ; auprès de marchands ambulants ; au moyen d’un abonnement à une maison d’édition ; ou encore sous forme de supplément d’un journal.
Les interprètes de chansons et l’atmosphère des cafés-concerts, des music-halls et des cabarets artistiques ont été représentés sur des affiches lithographiées, aux couleurs vives, dessinées par des artistes comme Chéret, Ibels, Steinlen et Toulouse-Lautrec. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la lithographie en couleur est devenue le moyen privilégié d’imprimer les pages couvertures de musique populaire en feuilles, y compris celles conçues par certains de ces mêmes artistes — la collection de la bibliothèque de musique Marvin Duchow comprend d’ailleurs plusieurs dessins de Ibels. Si une illustration plus attrayante pouvait rehausser l’esthétique d’une feuille de musique, l’image d’une vedette de la chanson pouvait aussi aider à en mousser les ventes. En outre, il était fréquent de voir mentionnés sur la couverture, à des fins publicitaires, le nom d’un chanteur ou d’une chanteuse vedette et celui du café-concert où la chanson avait été créée, par exemple : « Créée par Mistinguett à l’Eldorado ». Pour les interprètes les plus connus, une chanson pouvait même être étiquetée comme faisant partie de leur répertoire, soit par l’apposition d’un timbre ou par une note imprimée directement sur la feuille. Souvent, les quatrièmes de couverture servaient non seulement à annoncer la collection de l’éditeur, mais aussi à promouvoir des morceaux chantés par un artiste en particulier, rattachant ainsi un interprète à des styles de chanson ou d’interprétation ; par exemple, le nom d’Amiati apparaît à côté des rubriques « romance patriotique » et « genre patriotique ».
Femmes et production de musique
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