On pourrait la considérer comme une prêtresse venant déposer les sacrifices humains sur l’autel de la gloire ; ou encore, voir en elle l’image de la France menant avec noblesse ses fils à l’action, leur commandant au besoin de mourir. Chaque actrice a sa propre « lecture » du rôle qu’elle joue.
–Thomas Cardoza, Intrepid Women (2010, 153).
Tout au long du XIXe siècle, les femmes participaient à la collectivité dans l’Armée française en tant que vivandières, que l’on appelle aussi cantinières. En plus de servir la nourriture et les breuvages aux soldats, elles assumaient souvent le rôle d’infirmière et il arrivait qu’elles participent directement à l’action militaire, malmenant ainsi l’image de la féminité que l’on se faisait à l’époque. Les vivandières faisaient partie intégrante de l’iconographie de la vie militaire. Elles apparaissaient sur nombre d’images populaires et dans diverses créations scéniques : à l’opéra, comme dans La fille du régiment de Donizetti, au théâtre et dans les ballets. Comme l’écrit Lynn : « les jolies images devinrent quelque chose de presque inévitable dans les reproductions artistiques de la vie d’un camp militaire » (2012, 117).
Les vivandières accompagnaient un régiment et étaient souvent mariées à l’un des soldats. On les a parfois associées à la prostitution, mais selon Cardoza (2010), il existe peu d’indices permettant d’affirmer que les vivandières s’y adonnaient de manière significative au sein de l’armée. Néanmoins, à cause de leurs uniformes ajustés qui mettaient en valeur leurs jambes et leur poitrine, ce qui attirait les regards masculins, l’image des vivandières avait souvent une connotation sexuelle. C’était particulièrement le cas sur scène, mais aussi sur les illustrations de couverture de musique en feuilles. La femme travestie en soldat était également un motif populaire. Elle était sexuellement attirante, mais en exhibant ce que le théoricien J. Halberstam appelle une « masculinité féminine » (1998), elle était aussi perçue comme une menace dans un monde où le rôle de la femme était en train de changer. Vers la fin du siècle, les vivandières disparurent graduellement de l’armée et en 1906, ce métier n’existait plus. Toutefois, l’image de la femme en uniforme perdurait dans l’imaginaire collectif.
Dans le répertoire des cafés-concerts et des salons, la vivandière tenait une place importante comme image de fierté nationale. Dans son ouvrage sur la sémiotique musicale, Raymond Monelle (2006) identifie les marches et les sonneries de trompette comme les deux principaux signifiants du fait militaire. La plupart des chansons mettant en vedette des vivandières sont des marches énergiques où l’on a recours, tant dans les parties vocales qu’à l’accompagnement, à des ingrédients évocateurs de la chose militaire : fanfares, rythmes en croches pointées et sauts imitant les sonneries de trompette.