Le personnel féminin comprend deux catégories: les dames qui posent et ne chantent pas, les dames qui chantent et posent à la fois. Les premières sont choisies parmi les Françaises vaccinées, munies de trente-deux dents plus ou moins authentiques, et d’attraits plus ou moins irrésistibles. Celles-là sont destinées à faire nombre et à attirer par le magnétisme de leurs prunelles les cœurs combustibles. La deuxième catégorie est recrutée un peu partout. Lauréates du Conservatoires qui ont évu [eut] des malheurs, modistes émancipées, naufragées des théâtres de province. Ce qu’on demande, c’est une voix.
– Pierre Véron, Paris s’amuse (1861, 87).
Pendant les années 1850, les cafés-concerts se servaient des femmes pour remplir une fonction esthétique, décorative. La corbeille consistait en un demi-cercle de femmes assises, portant des toilettes élaborées et des robes élégantes pas toujours modestes. Sujet de toiles comme celle de Degas intitulée Café-concert aux Ambassadeurs (1876–1877), la corbeille était devenue l’emblème de ce type d’établissement, dissimulant cependant la position de force occupée par les chanteuses vedettes qui développèrent et établirent le répertoire comme les paramètres de l’industrie. Les chanteurs constituaient la principale attraction des cafés-concerts et ils interprétaient leurs succès du moment dans des tours de chant. Les artistes qui possédaient leur propre style musical et leur propre langage gestuel se façonnaient un genre et un répertoire que l’on finissait par désigner par leur nom ; on disait, par exemple, le « genre Thérésa ». Cependant, l’exploitation de chanteuses était endémique dans l’industrie du spectacle. Les débutantes étaient évaluées d’après leur apparence, leur maintien, leur âge et même la forme de leurs jambes. Les chanteuses de second plan, mal payées, se tournaient souvent vers la prostitution. Certains propriétaires de café-concert les forçaient à faire la quête et à user de leurs charmes pour encourager les clients à boire.
Comme le laisse entendre Concetta Condemi (1992), « la machine du succès » exigeait des moyens financiers (souvent consentis par des protecteurs), un réseau de contacts dans le milieu, des qualités vocales et physiques particulières et, chose plus importante, de l’intelligence et du flair dans la fabrication et le maintien d’une image publique. La première vedette des cafés-concerts, Thérésa (1837–1913), cultivait par son apparence simple et ses origines ouvrières, l’image de la cantatrice populaire chantant les vertus du dur labeur. Formée au Conservatoire, Anna Judic (1849–1911) était dotée d’une voix de soprano très claire et excellait dans les chansons de rire. C’est elle qui créa le genre « ingénue ». Elle partageait son temps entre l’opérette, la comédie et le café-concert. Après sa prestation dans La belle Hélène d’Offenbach au Théâtre des Variétés, en 1877, Judic servit de modèle à Émile Zola pour le personnage de la chanteuse d’opérette Rose Mignon de son roman Nana.
Mais la vedette la plus emblématique des cafés-concerts fin-de-siècle était Yvette Guilbert (1865–1944). Son apparence était distinctive, avec sa silhouette fine et anguleuse, ses longs gants et ses cheveux roux. On la classait dans la catégorie des diseuses, car son style vocal, assorti d’une gestuelle stylisée, était davantage parlé que chanté. Elle devint une sensation après avoir chanté au Divan Japonais, en 1890, des chansons modernes portant sur l’hypocrisie bourgeoise, sur la pauvreté et sur une panoplie de thèmes osés.