Paris, l’exotisme et le colonialisme

Et la superbe Juana! Ce nom seul évoque les pays du soleil, des créoles et des gitanas qu'elle a tant chantés. Boulevard de Strasbourg [Eldorado] on l'appelle Juana l'espagnole; sa brune tête, son type mauresque, justifient ce surnom. Et pourtant elle est née à Dôle, mais on sait que son pays fut sous la domination espagnole au XVIIe siècle et on s'explique que notre franc-comtoise ait les yeux et les cheveux d’une belle de Grenade.

- Paulus, and Octave Pradels, Trente ans de café-concert. Souvenirs recueillis par Octave Pradels ([1908], 230-31).

Le public français du XIXe siècle était habitué à l’exotisme en musique. Pendant tout le siècle, les arts furent imprégnés d’éléments provenant d’autres aires culturelles comme l’Espagne, l’Afrique du Nord ou l’Extrême-Orient. Des œuvres artistiques en tout genre étaient teintées d’orientalisme ou empruntaient à des thèmes exotiques. Pensons aux opéras et aux opérettes (L’Africaine de Meyerbeer, La perle du Brésil et Lalla-Roukh de Félicien David, Lakmé de Delibes, Les pêcheurs de perles de Bizet, Ba-ta-clan d’Offenbach, Le caïd d’Ambroise Thomas et bien d’autres), à des œuvres littéraires (Les orientalistes de Victor Hugo, Salammbô de Flaubert) et aux arts visuels (Benjamin-Constant, Ingres, Delacroix et Jean-Léon Gérôme). L’exotisme musical entrait dans les foyers français non seulement par les publications d’extraits d’opéras, mais également par les romances et les chansons. Les textes et les images de couverture de la musique en feuilles regorgeaient de clichés : oasis, chameaux, caravanes, lions. Les signifiants musicaux de l’exotisme comme le chromatisme, les secondes augmentées, les rythmes de danse et les passages mélismatiques, tout en ne dépassant pas les limites du langage tonal occidental, apportaient une certaine couleur locale.

Les cafés-concerts perpétuèrent l’image érotique de la « femme orientale », amalgamant sous un même stéréotype la femme espagnole, arabe ou asiatique. Afin d’apporter à leurs interprétations une touche d’authenticité, eut-elle été imaginaire, les chanteurs des cafés-concerts ne manquaient pas une occasion de profiter du moindre lien, même le plus ténu, avec une ethnie étrangère, par exemple, chez la française Juana.

Le monde sonore de l’imagerie exotique rencontra la réalité lors de l’Exposition universelle de 1889. Les visiteurs purent voir et entendre les couleurs et les sons étrangers amenés pour l’occasion à Paris depuis les colonies françaises, entre autres d’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie), d’Afrique de l’Ouest (Sénégal), d’Indochine et de Nouvelle-Calédonie. En examinant les réactions du public et de la critique aux prestations musicales présentées lors de l’Exposition universelle, Annegret Fauser (2005) a montré comment l’omniprésence de l’exotisme dans la culture musicale française a influencé la manière dont les visiteurs ont perçu les musiques étrangères qu’on leur présentait et comment ils y ont réagi.

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