On a vu peu de femmes réussir dans le domaine de la musique dramatique; mais dans le genre plus modeste, sinon moins difficile, elles ont souvent régné en souveraines. Il suffit de citer Mmes Duchambge, Mlle L. Puget, Mme Cinti-Damoreau, Malibran, Pauline Garcia.
– E [Escudier], La France musicale, 28 décembre 1845.
Les femmes qui souhaitaient devenir compositrices étaient confrontées à d’importantes contraintes sociales et devaient venir à bout de sérieux obstacles institutionnels. Le Conservatoire de Paris ne commença qu’en 1861 à accepter des femmes dans ses classes de composition. Cependant, il faudra attendre jusqu’en 1903 pour que les femmes soient admises comme candidates au prix de Rome, le plus prestigieux des concours de composition. Les hommes et les femmes demeuraient séparés dans leurs classes de musique. Les genres musicaux sexués de l’époque eurent l’effet de dissuader les femmes de composer des œuvres complexes et de grande envergure telles que symphonies ou opéras. Plusieurs compositrices se tournaient donc vers des formes considérées comme plus modestes, notamment la chanson, et réussissaient à vivre de leur art en conservant un statut semi-professionnel ou même professionnel.
Les salons offraient aux femmes un espace semi-public où elles pouvaient présenter leurs compositions, en particulier les romances. William Cheng (2011) a récemment soutenu que l’esthétique de ce genre musical, avec ses mélodies simples, sans détour, et ses accompagnements faciles, reflétait bien l’idée que la bourgeoisie française se faisait de la féminité. Alors que Jacques-Auguste Delaire affirme que la romance « devait convenir à l’organisation éminemment sensible des femmes » (1845), Cheng nous invite plutôt à envisager ce genre comme une modalité d’interprétation de la féminité. De ce point de vue, les femmes pouvaient exceller dans la composition de chansons, puisqu’elles étaient en mesure de s’en approprier entièrement les traits pertinents, lesquels étaient appréciés tant par le public des salons que par les acheteurs de musique en feuilles.
Pauline Duchambge (1778–1858) composa plus de 400 romances et sa musique était très répandue dans les salons des années 1830. Elle mit en musique plusieurs textes de sa contemporaine et amie Marceline Desbordes-Valmore (1789–1859), une poète hautement estimée et que Baudelaire et Verlaine admireront plus tard. Sa contemporaine Loïsa Puget (1810–1889), qui interprétait souvent ses propres chansons dans les salons à la mode, était considérée par le critique Henri Blanchard comme « la reine de ce genre de musique ». Sophie Gail (1776–1819) composa des chansons et quatre opéras. Longtemps après sa mort, la musique de Gail était encore appréciée en France, à preuve la réédition en 1876, dans la collection Conservatoire Populaire du Chant, d’un air extrait de son opéra-comique Les deux jaloux (1813).