Dans l’art rayonne l’étincelle divine de l’humanité
Dans Physiognomische Fragmente (1775), le théologien et pasteur suisse Johann Kaspar Lavater (1741-1801) tente de systématiser ce qui fut longtemps réduit à une intuition, à savoir qu’il existe une corrélation entre l’apparence physique de l’homme et son caractère moral ou intellectuel. La physiognomonie, telle qu’il la définit, consisterait à analyser les traits physionomiques (externes) des individus afin d’arriver, comme par une équation infaillible, à en déterminer les causes internes. Ultimement, Lavater cherche plus que la source de l’identité individuelle ou le caractère. En bon clérical, il est en quête de la divinté que chacun porte en soi.
La théorie de la physiognomonie eut une importance capitale dans le domaine de la caricature. On peut l’observer dans le traitement que Gillray octroye à la figure de Napoléon, en la comparant avec les représentations officielles de l’Empereur de Jacques-Louis David (1748-1825) et d’Antoine-Jean Gros (1771-1835) parmi d’autres. Celles-ci sont plutôt fondées sur l’idéal néo-classique hérité des pensées de J.-J. Wincklemann (1717-1768) quant à la supériorité morale de l’art de la Grèce antique. Ainsi, deux mondes en apparence contradictoires semblent tout du moins cohabiter : d’une part, celui de l’art tel qu’il fut défendu et développé à la fin du dix-huitième siècle, notamment par la Royal Academy of Arts d’Angleterre dirigée par Sir Joshua Reynolds (1723-1792) et, plus généralement, par les élites culturelles et politiques européennes, et d’autre part, le genre de la caricature, relayé par ces derniers au rang d’art mineur, ou, de simple divertissement populaire.
À partir d’exemples puisés principalement à même le corpus napoléonien de Gillray, nous verrons donc comment et jusqu’à quel point la caricature en arriva alors à trouver sa place, à se définir, face à un art dont les principes s’articulaient autour d’un idéal antique de beauté et de grâce, antipodes de la pratique caricaturale.
– Pierre Lachaine