Le music-hall et le cabaret de la Belle Époque

Il existe à Paris un endroit bizarre, exquis, fort peu orthodoxe, moitié café, moitié théâtre, parisien au possible, fort recherché par les provinciaux et les étrangers. Cet endroit s’appelle les Folies-Bergère. Là, une foule se réunit chaque soir.

– Émile Zola, “Folies-Bergère” (1882).

La Troisième République (1870–1940) fut proclamée durant l’ «  année terrible », une période marquée par la défaite française de la guerre franco-prussienne et l’insurrection mouvementée de la Commune de Paris. Durant les premières années de la République, et lors d’un gouvernement instable, des changements politiques, sociaux, démographiques, technologiques et culturels spectaculaires surviennent. C’est le début de ce que l’on a coutume d’appeler « la Belle Époque », un temps où l’on assistera à l’émergence de la culture commerciale de masse et à la prolifération, partout dans la métropole parisienne, d’une nouvelle forme de divertissement : le music-hall.

Pas de quatre chantéPas de quatre chantéImportée d’Angleterre, la vogue du music-hall offrait au Tout-Paris un spectacle visuel alléchant qui mettait en scène « la tension naturelle entre élégance et mauvaise réputation » (Gutsche-Miller, 2015). Dans les années 1870, les Folies-Bergère étaient le premier music-hall de Paris, vite imitées par une foule d’établissements semblables, dont l’Olympia, le Parisiana, le Casino de Paris et le Moulin Rouge, lequel était principalement consacré à la danse. Avec d’importants budgets de production, des décors somptueux et un défilé de stars, le music-hall offrait à un public issu de l’aristocratie, des familles bourgeoises, du milieu étudiant et de la petite bourgeoisie, une panoplie de spectacles : des opérettes, des ballets, des danses populaires, des tours de chant, de la gymnastique, des numéros de cirque (trapézistes, acrobates et dresseurs) et, ultimement, des revues. À cette époque, la vogue des cafés-concerts connut un déclin. Plusieurs des établissements de ce type réajustèrent le tir en mettant à l’affiche des numéros de music-hall ou en se transformant eux-mêmes en salle de music-hall.

Au Nord des boulevards, où florissaient la plupart des music-halls, se trouvait Montmartre, le territoire des cabarets artistiques. Le Chat noir, fondé en 1881 par Rudolph Salis (1851–1897) et immortalisé sur une affiche de 1896 par Théophile Steinlen, est sans doute le plus célèbre de ces cabarets. D’autres le sont presque autant, comme le Cabaret des Quat’z’arts ou encore le Mirliton, dont le nom est associé à celui du chansonnier Aristide Bruant (1851–1925). Né dans le Montmartre après la Commune et issu des goguettes, le cabaret fleurira entre 1880 et 1900, se situant comme l’antithèse de ce que Marc Angenot appelle la « fausseté niaise » des cafés-concerts (1991, 94). Dans les cabarets artistiques, outre de la poésie, du théâtre expérimental et des théâtres d’ombres créés par des artistes et des écrivains d’avant-garde, on pouvait entendre des chanteurs interpréter devant une « bohème » ouvrière ou bourgeoise des chansons sociocritiques, notamment de la chanson réaliste et de la chanson à Montmartre. Ces chansons contestataires traitaient des injustices sociales et illustraient la vie dans la rue et le monde interlope du crime et de la prostitution. Le cabaret mariait culture populaire et culture élitiste, ce qui faisait dire à Bernard Gendron que ce type d’établissement était « le lieu d’une esthétique moderniste » qui contribuera au développement du modernisme du XXe siècle (2002, 31). Par exemple, les musiques de Debussy et de Satie se sont développées à partir du terreau fertile du cabaret. Plus encore, le style « cabaret » s’est infiltré dans d’autres sortes de lieux de divertissement. C’est ainsi qu’Yvette Guilbert, qui s’est brièvement produite au Chat noir, fut responsable d’importer sur la scène du café-concert le répertoire et le style du cabaret.

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Pour aller plus loin

Angenot, Marc. Café-concert: Archéologie d’une industrie culturelle. With Diane Geoffrion. Montréal: CIADEST, 1991.

Appignanesi, Lisa. The Cabaret. New Haven: Yale University Press, 2004.

Caradec, François, and Alain Weill. Le Café-Concert. 2nd ed. Paris: Fayard, 2007.

Gendron, Bernard. Between Montmartre and the Mudd Club: Popular Music and the Avant-Garde. Chicago: University of Chicago Press, 2002.

Gordon, Rae Beth. Dances with Darwin, 1875–1910: Vernacular Modernity in France. Farnham, UK: Ashgate, 2009.

Gutsche-Miller, Sarah. Parisian Music-Hall Ballet, 1871–1913. Rochester, New York: University of Rochester Press, 2015.

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